Russie
Bienvenue en Sibérie ! Ce matin du 27 avril, le réveil est glacial. Le thermomètre affiche -10°. Nous sommes dans l'Oural, 150km avant Ekaterinbourg.

10 mai 2014

de l'Oural à l'Altaï

L'Oural, que l'on décrit comme la chaîne de montagne séparant du nord au sud l'Europe de l'Asie, n'est en fait pas très haute. En la traversant, nous ne dépassons pas l'altitude de …460 mètres et le plus haut sommet, tout au nord, culmine à moins de 1900 mètres. Au bord de la route, il y a de plus en plus de neige.
En arrivant un dimanche à Ekaterinbourg, les rues très larges, comme toujours en Russie, sont pratiquement vides et nous nous installons au centre ville sur le parking de l'Hôtel de Ville, parking assez vide lui aussi mais recouvert de neige et de glace. Dans les rues, il y a partout de gros tas de neige, les trottoirs sont couverts de neige gelée. Il fait froid.
Tous les magasins sont ouverts, le dimanche comme en semaine, et parfois même toute la nuit ; les rues sont animées ; les gens, serrés dans leur manteau, ont leur bonnet enfoncé jusqu'aux yeux. Pourtant, on remarque que cette neige est inhabituelle... Cela nous sera confirmé plus tard ; il a en fait neigé abondamment le vendredi et le samedi, et tout le monde a été surpris par ce retour de l'hiver.

Nous restons quatre jours à Ekaterinbourg, chaque jour sera une autre saison, du froid de la neige au temps très estival en passant par un ciel couvert et de la pluie.

Avant, quand j'entendais parler d'Ekaterinbourg, c'était pour évoquer l'assassinat de la famille du tsar. J'imaginais une petite ville minière, glauque, noire et triste.

Quelle ne fut pas ma surprise d'apprendre que c'est la 3ème ville de Russie après Moscou et Saint Saint-Pétersbourg ! Et Ekaterinbourg a tout d'une capitale. C'est une ville ravissante où se mêlent, comme souvent en Russie, l'ancien et le super moderne. Des immeubles, parfois encore inachevés, se dressent vers le ciel, contemplant de toute leur hauteur quelque petite maison de bois, demeure d'un illustre personnage transformée en musée. Au milieu de la ville, d'agréables promenades très fréquentées longent le lac et la rivière. On se sent bien ici.
En 1918, le Tsar Nicolas II, la Tsarine Alexandra, leurs quatre filles et le tsarévitch Alexeï ont été assassinés dans la maison du riche marchand Ipatiev. La maison Ipatiev était devenue un véritable lieu de pèlerinage et en 1975 les autorités excédées ont fait raser la maison. C'est Boris Elsine qui a été chargé du sale boulot. Moche pour lui, il était justement originaire de cette ville...
En 2000, le Tsar est réhabilité, plus encore, il devient avec sa famille un martyr et même un saint ! Là où était la maison Ipatiev, on a construit une cathédrale au nom évocateur : la Cathédrale du Sang Versé, qui a été achevée en 2002. Les restes de la famille impériale y ont été transportés. Partout des icônes, des photos, des peintures des 7 membres de la famille avec l'auréole des saints. Des messes y sont dites chaque jour.
A une vingtaine de km de la ville, là où les ossements ont séjourné, ignorés de tous pendant 70 ans, au fond d'un trou de mine, s'élève un monastère avec la construction de 7 églises, une pour chaque victime. Des processions ont lieu chaque jour et les moines prient pour demander pardon au nom du peuple russe...
A ce jour, quatre églises sont achevées, une immense est en chantier. Toutes sont en bois, faites de gros rondins apparents à l'extérieur comme à l'intérieur. Il règne là une grande sérénité et une chaleur (au propre comme au figuré) bien typique des églises orthodoxes.

Pour entrer dans le monastère, il faut avoir une jupe et un foulard long sur la tête. Heureusement chaque église orthodoxe est équipée pour en prêter.

Les cinq enfants du tsar tels qu'ils posent sur la plupart des photos : les quatre filles entourent le tsarévitch.

Notre pauvre Louis XVI et sa tendre épouse n'auront pas eu cette chance ! Non seulement ils n'ont pas été béatifiés, mais ils semblent bien oubliés du « peuple français » ! Les millions d'autres victimes du communisme ou même celles du tsar, gisant dans d'anonymes fosses communes, étaient pourtant eux aussi des êtres humains, tout comme le tsar, et on ne fait pas non plus toujours grand cas de leur sort...
Le peuple a pu se faire entendre lors du gigantesque défilé du 1er mai, dans une ambiance bonne enfant, avec des milliers de ballons aux couleurs de la Russie, du blanc, du bleu et du rouge (comme la France, mais dans le désordre). On y vient avec poussettes d'enfants, en famille. Mais pour nous cette grande masse de gens a un petit côté effrayant ; tout pourrait si vite basculer. (Nous ne sommes pas des habitués des défilés et sommes donc vite impressionnés...)
Nous quittons Ekaterinburg sous le soleil. Il fait de plus en plus chaud. 27°. Nous trouvons une piste à peu près sèche pour quitter la route et décidons de faire notre lessive, la première du voyage. Bilan : une petite heure au milieu de la nature, charmés par le chant des oiseaux, du linge propre et ... la compagnie de quelques tiques en souvenir. Dans chaque paradis, il y a toujours un moustique... !

Quelques pancartes à la sortie d'Ekaterinburg :

Omsk 960km - Novosibirsk 1520 km - Tomsk 1950 km

Cette route que j'appellerai la Transsibérienne (tout comme le train s'appelle le Transsibérien) est une aventure en soi. De la frontière de Lettonie jusqu'à Novosibirsk, 4300km de route bordée de bouleaux, sans feuilles, un épais tapis d'herbes sèches déjà brûlées à bien des endroits, en feu à d'autres et dégageant une épaisse fumée, des zones inondées suite à la fonte de la neige encore présente par plaque à certains endroits et de la boue, de la boue, de la boue...
La route contourne aussi de grandes villes d'un million d'habitants, ponctuées sur la route tous les 1000 km environ, plus nombreuses dans la région de la Volga. Modernes comme Kazan ou Ekaterinbourg, plus vieillottes et comme abandonnées par les grands projets de modernisme comme Perm. Les milliers de km du ruban d'asphalte sont détruits par le gel à chaque hiver. Les routes restaurées sont assez bonnes, mais d'autres souvent comportent des trous énormes, des ornières creusées comme des rails par les roues des camions. De nombreux travaux de restauration, depuis le gravier jeté sur du goudron liquide jusqu'aux immenses chantiers de construction d'autoroutes, donnent l'impression d'un ouvrage de Pénélope, sans cesse recommencé après chaque hiver. Lorsque l'on voit les ouvriers, pinceaux à la main, rafraîchir la peinture des glissières de sécurité, on pense aux milliers de km jusqu'à Vladivostok...
Ces travaux impliquent des limitations de vitesse, en général à 40km/h que nous respectons scrupuleusement. En général les limitations sont assez bien respectées par tous. Cela n'empêche pas certains immenses camions de nous dépasser à toute allure. Car les camions sont ici très très nombreux. Les routiers avalent les km, téléphone portable à la main en guise de compagnon de route. Le soir, tout comme nous, ils s'arrêtent par dizaines sur les immenses parkings qui leur sont réservés et où ils trouveront atelier de mécanique ou de réparation des pneus, restaurant, parfois motel, douche, saunas. La chaleur des restaurants est un réel réconfort après une journée de route. Notre fourgon fait figure de tout petit frère à côté d'eux...
Les policiers sont extrêmement nombreux. Jumelles à la main, ils n'ont jamais de repos car il y a toujours des véhicules à arrêter pour excès de vitesse ou dépassement interdit. Nous n'aurons été arrêtés qu'une seule fois car j'avais oublié de mettre les phares et le policier n'était pas loin de s'excuser de nous déranger. Le comportement des policiers a beaucoup changé en 5 ans et nous n'avons plus à redouter des infractions imaginaires ni des contrôles de documents fréquents.
Voilà ce qu'est la Transsibérienne. Cette route, toujours pareille semble-t-il, nous l'aimons vraiment. Jamais elle ne nous a paru longue, jamais nous ne nous sommes lassés du paysage. Nous apprécions aussi la conduite tranquille car, en dépit de la circulation parfois intense et rapide des gros camions, il y a une politesse sur la route, un savoir-vivre que nous ne connaissons pas chez nous. Les dépassements sont parfois limite et quand ce sont de gros camions qui en doublent un autre, ou deux ou trois ou quatre d'affilée qui nous dépassent, cela pourrait sembler stressant et pourtant cela ne l'est pas car ici, chacun pense à l'autre ; s'il est plus rapide que moi, je dois faciliter son dépassement, et la voiture qui est en face n'a aucun signe d'agressivité car s'il double c'est qu'il peut le faire. Et si c'est vraiment trop juste, chacun se serre un peu et on passe à trois sur une route à deux voies ! Nous n'avons jamais entendu un klaxon, jamais vu un appel de phares.

Si seulement les français qui vont à l'étranger pouvaient cesser de critiquer la conduite des autres et essayer de la comprendre ! Si on pouvait chez nous aussi, apprendre à conduire en se mettant à la place des autres et non pas en ne pensant qu'à faire valoir ses droits, comme la relation entre automobilistes pourraient en être améliorée ! Nous avons voyagé dans de nombreux pays du monde, des pays où il est dit qu'on conduit mal ; c'est là-bas que nous avons trouvé les conducteurs les plus responsables, capables d'avoir des yeux devant comme derrière, à droite comme à gauche, de tout surveiller. On ne peut s'en rendre compte que lorsque l'on conduit soi-même son véhicule . Qui en France n'a pas déjà observé le comportement frustré d'un conducteur devant qui on serait passé à un rond-point, qui va coller à notre voiture avec force appel de phares et klaxon et n'aura de repos que lorsqu'il aura pu nous doubler et retrouver la place « qui lui est due ». Le pire, c'est qu'à vivre dans cette ambiance, on devient pareil... !

Notons que sur ces milliers de km, nous n'avons pas vu un seul accident !

A Novosibirsk, nous quittons la Transsibérienne qui continue pendant encore plus de 5000 km, jusqu'à Vladivostok. La température chute de nouveau et flirte avec les 0°. Peut-être est-ce dû au vent froid ? Mais Novosibirsk ne nous enthousiasme guère et nous n'y séjournons pas. D'ailleurs Lénine lui-même préfère ici mettre les mains dans les poches de son grand manteau au lieu de montrer du doigt...
Nous rejoignons vers le sud Barnaul à 250km. C'est dans cette ville où nous venons pour la 3ème fois que nous retrouvons la route pratiquée il y a 5 ans lors de notre précédent voyage en Mongolie. Le paysage change et il fait un peu plus chaud. Si les bouleaux sont toujours présents, ils ont maintenant de plus en plus de feuilles, et l'herbe naissante est plus verte. Le paysage est vallonné et le sol presque sec.
Nous quittons l'incroyable platitude de la Russie et nous dirigeons vers les montagnes de l'Altaï, tout en souhaitant ne pas y rencontrer la neige... Les villages sont colorés par les toits en tôle rouge, bleue, verte ou jaune. Les maisons en bois sont parfois peintes de couleurs vives et les pourtours de portes et fenêtres sculptés.

Nous entrons maintenant dans le domaine des grandes montagnes de l'Altaï dont les plus hauts sommets dépassent 4OOO mètres.

Le 9 mai nous nous présentons à la frontière. C'est l'équivalent de notre 8 mai (1945) et jour férié. Nous profitons de cette journée de repos inattendue sous un soleil magnifique.

Demain nous serons en Mongolie !

La route contourne la plupart du temps les rares villages épars ; lorsque nous y entrons pour faire le plein d'eau aux fontaines presque toujours présentes (l'absence d'eau courante dans les maisons est une bénédiction pour le voyageur...). Durant le dégel, la boue envahit tout. Souvent la route du village n'est pas asphaltée et pour s'y rendre, mieux vaut être équipé ! Si en France on se demande souvent pourquoi les gens achètent des 4X4, ici la question ne se pose plus. C'est parfois l'unique possibilité si on veut prendre la route pour rentrer chez soi (voir photos ci-dessous).
Lénine est presque toujours représenté ainsi, le bras droit tendu. Selon une plaisanterie locale, il montre l'endroit le plus proche où l'on trouve de la vodka...
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