Turquie
3 octobre 2014
Quitter la Géorgie pour entrer en Turquie,
c'est aussi quitter l'Europe pour revenir en Asie. En effet, l'Oural, à l'est,
et la Géorgie et l'Arménie au sud, sont les limites de l'Europe géographique.
Nous
quittons la mer Noire et sa tempête pour partir plein sud vers le Nemrut Dagi.
Par cette pluie diluvienne qui nous accompagne toujours, nous hésitons à prendre
les petites routes indiquées en jaune sur la carte, surtout que nous devons
traverser les montagnes. Notre surprise sera grande de voir ces routes en deux
fois deux voies presque sur tout le trajet, la construction n'étant pas achevée.
Pratiquement
toutes les routes que nous avons faites en Turquie seront des deux fois deux
voies, gratuites, peu fréquentées sauf autour des grandes villes (Istanbul,
Ankara). Il faut dire que le prix du carburant (1,60€ le litre de diesel) permet
de faire entrer quelques taxes dans les caisses de l’État, mais au moins elles
sont utilisées de manière profitable à tous.
Dés
que nous nous enfonçons vers les montagnes le paysage change. Les plantations
de thé couvrent les petites terrasses et le moindre petit coin de terre . Les
villages sont accrochés sur les pentes raides, les cours d'eau dévalent dans
les vallées resserrées, et le temps s'améliore.
De
chaque côté, est et ouest, sont assis cinq statues représentant le roi entouré
de quatre divinités, Commagène, Zeus, Apollon et Héraclès. De part et d'autre,
un aigle et un lion, gardiens du site. Suite sans doute à un tremblement de
terre, les têtes sont tombées sur le sol. Un chemin permet de contourner le
tumulus pour passer d'est en ouest.
Dés
le premier soir, nous renouons avec l'Islam. Dans la petite ville où nous sommes
arrêtés pour la nuit, nous nous garons juste devant la mosquée... Heureusement,
les muezzin n'appellent plus à la prière durant la nuit et, de la prière du
coucher (20h) à celle du lever (4 ou 5h) du soleil, tout est tranquille.
Suivant
des routes de montagne devenues très petites, nous arrivons au site du Nemrut
Dagi. Pour accéder au site, deux routes sont possibles, celle du sud-ouest s'arrête
à un parking d'où on monte par une série d'escaliers. L'autre accès, celui du
nord-est est goudronné jusqu'à un hôtel puis une piste monte sur deux km et
de là nous sommes à quelques minutes du site. C'est l'option que nous avons
prise. Cela fait plus de 40 ans que j'ai entendu parler par un ami du Nemrut
Dagi ; depuis, je rêvais de le voir. Nous y sommes aujourd'hui...
Le
roi Antioche 1er voulait passer l'éternité le plus près possible des Dieux.
Pour cela, il a fait construire sa sépulture au sommet d'une montagne, à 2100
mètres. Un tumulus conique de pierres concassées, de 50 mètres de haut, semble
finir le sommet de la montagne.
Arrivés
vers 17 h, nous visitons le site où quelques touristes sont présents. Nous retournons
dans notre fourgon en attendant le coucher du soleil qui se fera donc côté ouest
(alors que nous sommes du côté est, vous suivez?)
La
lumière déclinante du soleil sur les statues est un spectacle très apprécié
et nous savons que nous ne serons pas seuls. Contournant la montagne pour atteindre
l'ouest, nous découvrons une foule qui déjà attend le spectacle de la Dame Nature.
Il y en a partout, sur le chemin, la moindre petite bosse ! Mais … tous tournent
le dos aux statues pour regarder du côté du soleil. On ne vient pas voir le
soleil se coucher sur le site, on vient voir le soleil se coucher derrière les
montagnes.
Nous
ne sommes donc que quelques uns à admirer la lumière rose du soleil tomber sur
les visages surpris des statues, puis se retirer peu à peu pour les plonger
dans l'ombre de la nuit.
C'est
sûr, bien des gens n'ont jamais eu l'occasion de voir un coucher de soleil
depuis un sommet et leur visite en Turquie est pour eux l'occasion d'un magnifique
spectacle. Pour nous qui avons vu tant de couchers de soleil sur bien des montagnes
du monde, nous comprenons mal que l'on ne regarde pas le site lui-même...
Les visages sont fascinants.
Toutes les statues côté est ont la même expression d'attente
angoissée. Depuis plus de 2000 ans ( -35 avant JC), ils ont toujours, malgré
leur rigidité de pierre, tant de vie sur leurs traits !
Le
soleil a à peine disparu derrière les montagnes que déjà les guides battent
le rappel pour la descente. Sans un regard pour ces statues qui les contemplent,
tout le monde prend le chemin de la descente dans un brouhaha terrible.
De notre, côté, c'est
beaucoup plus calme...
Nous
dormons au pied de la piste, devant l'hôtel, fermé à cette époque, tous seuls.
Le site ouvre à 5h (lever de soleil oblige) et nous mettons notre réveil à 5h
15.
Pas
besoin ! A 5h moins le quart, les premiers véhicules arrivent et attendent l'ouverture
... Quand nous montons au site, nous voyons de loin les silhouettes qui se détachent
sur le ciel ... tous face au lever de soleil, dos tourné vers les statues.
Le ciel se colore doucement de rouge.
Mais sans doute les gens avaient-ils
peur que le soleil ne se lève pas ce jour-là car, dés
qu'il apparaît derrière les montagnes, certains crient, d'autres applaudissent,
sous le regard de plus en plus étonné des autres statues (nous sommes du côté
est cette fois).
Lentement,
la lumière arrive sur les visages sortant de l'ombre pour se colorer de rose
puis s'éclaircir enfin totalement. Moments réellement magiques (qui le seraient
encore plus sans les cris derrière nous...).
Nous ne restons plus que quelques uns à contempler ce site extraordinaire dans
un calme total.
Le soleil a à
peine fait son apparition que déjà les guides lancent l'appel du départ et
la vitesse à laquelle l'endroit se vide est incroyable (c'est vrai qu'un petit
dej doit attendre).
Nous redescendons vers
notre fourgon pour continuer notre nuit. Avant de partir, nous remontons vers
les statues. Le site est maintenant totalement désert à part quelques ouvriers
qui travaillent là.
Les
statues nous disent encore quelques mots par leur bouche éternellement entrouverte.
Nous les regardons une dernière fois ; nous ne reviendrons sans doute jamais
ici, mais jamais non plus nous n'oublierons l'angoisse, l'étonnement et l'attente
exprimés par tous ces visages de pierre. J'ai attendu 40 ans mais le Nemrut
Dagi ne m'a pas déçue ...
Devant
tant de beauté, tant de calme, nous pensons qu'à une centaine de km d'ici, la
guerre déchire la Syrie. Si près de nous, tant d'innocents sont en enfer, et
Antioche 1er, lui, voulait se rapprocher des Dieux, peut-être aussi être
plus proche du paradis !
La
dernière fois que nous sommes venus à Istanbul, c'était à notre retour d'Inde
où nous nous étions rencontrés, il y a 36 ans déjà. Istanbul, Constantinople,
Byzance ... Cette ville magique nous avait très impressionnés, comme tous les
voyageurs à cette époque. Istanbul, c'était l'Asie avec ses palais, ses nombreuses
mosquées dont les minarets jaillissaient de tous côtés entre les
maisons basses. Istanbul et sa musique criarde dans les rues, les cris des portefaix
qui, lourdement chargés, demandent le passage, les odeurs d'épices dans les
bazars, la foule bigarrée qui se bouscule, les appels à la prière qui se répondent
d'une mosquée à l'autre. Istanbul nous saisissait et nous entraînait dans cette
Asie grouillante où l'on allait ou d'où l'on revenait, notre premier contact
asiatique sur la route de l'Inde, ou notre dernier sur la route du retour ...
Comme
si le ciel avait attendu que nous quittions le Nemrut Dagi, le temps se gâte
et la pluie reprend. Nous roulons et traversons la Turquie du sud-est vers le
nord-ouest, 1200km jusqu'à Istanbul. Nous passons près de la Cappadoce et hésitons
à faire le détour. Klaus l'a visitée il y a 36 ans, moi 40 ans.
La
description du guide du Routard concernant les nombreux hôtels, restaurants,
pensions, boutiques de souvenirs là où nous n'avions vu qu'un désert, les dizaines
de montgolfières survolant l'endroit, tout cela nous fait décider qu'il vaut
mieux rester avec nos souvenirs et éviter l'endroit. Surtout qu'il pleut toujours
... Trois jours plus tard, nous arrivons à Istanbul.
Dans la journée,
dans le port, il y avait trois bateaux de croisière. Le soir, un bateau s'en
va ; au matin, un nouveau arrive déjà.
Il
n'y a plus de musique dans les rues, plus de foule bigarrée, le tramway roule
sur des rails caoutchoutés, et la seule odeur à présent dans les rues est celle
de l'arnaque qui vous guette à chaque pas.
De
notre parking en bord de la mer de Marmara, nous voyons tout près les minarets
et les coupoles de la mosquée bleue. Nous avons le souvenir de cette vision
magique de la mosquée le soir et désirons retrouver là-bas un peu de
calme après cette arrivée en ville pour le moins stressante.
Nous
arrivons sur place et cherchons quelques repères. Nous ne retrouvons plus rien.
La mosquée bleue isolée et dégagée il y a 40 ans est aujourd'hui dans une zone
piétonne pavée, avec de hauts arbres de-ci de-là, des fontaines avec jets d'eau
toutes neuves...
...
et apparaît Sainte-Sophie, magnifique, rose sous les projecteurs. Nous nous
retournons, cherchons... Quoi ? Sainte Sophie si près de la mosquée bleue ?
Il
y a des lumières, tellement trop de lumières, de la rue, des restaurants et
ces lumières noient les mosquées qui ne jaillissent plus devant soi comme jadis.
Les restaurants sont innombrables, envahissant toutes les rues, alignés, serrés
l'un à côté de l'autre. L'espace qui mettaient en valeur chacun des monuments
a disparu, tout est serré, trop serré. Le vieil Istanbul est devenu une ville
piétonne comme les autres, avec quelques monuments historiques émergeant par-ci,
par-là des pavés et des arbres.
Quiconque
l'a découverte « avant » a été envoûté par cette ville magique, les minarets
et coupoles des mosquées partout, où que l'on tourne son regard, l'Asie qui
vous arrivait en pleine figure, les mille et une nuits dans la rue.
Sans doute certains verront là
une nostalgie de routards vieillissants. Sans doute... Ceux qui ont vu Istanbul
avant et maintenant comprendront sûrement pourquoi je dis qu'Istanbul
a vendu son âme au diable, et le diable c'est le tourisme de masse... Mais
peut-être aurait-il fallu sortir du Vieux Istanbul envahi de touristes pour
aller à la rencontre de l'autre ville, celle des turcs, celle que d'habitude
l'on ne visite pas ? Peut-être...
ci-dessous : tiens, la Suisse a une
marine mainenant ???
Nous quittons Istanbul, mais cette ville
est immense et après avoir roulé plus de 50 km en ville, côté Asie, pour atteindre
notre parking, nous devons rouler encore 50 km en ville, côté
Europe, pour trouver enfin un peu de campagne. Istanbul aurait 13 millions
d'habitants. Sao Paulo, qui est normalement la plus grande ville du monde,
en a à peine plus.
Loin d'Istanbul, nous retrouvons la gentillesse
habituelle des turcs, leur plaisir à rendre service et à nous inviter pour
le thé. La Turquie est vraiment un super pays, mais désormais, nous éviterons
Istanbul... Nous sommes maintenant dans l'Union Européenne, la dernière
ligne droite pour rentrer chez nous !
Aujourd'hui,
les minarets des mosquées sont écrasés et disparaissent entre les gratte-ciels,
rivalisant en originalité de forme, de hauteur, de panneaux publicitaires. Les
souks sont devenus des magasins vendant de l'Asie d'illusion, les restaurants
servent des plats qui semblent plus sortir d'usine à bouffe que mijotés au coin
du fourneau. Et surtout partout, partout, la foule de touristes, les racoleurs...