Pérou
12 octobre 2010.
Nous quittons l'Équateur et revenons
au Pérou. A la frontière péruvienne, un douanier sue à grosses gouttes en
entrant les données des voyageurs pendant qu'à l'extérieur, 4 autres douaniers
nagent dans une oisiveté totale. Nous avons déjà attendu plus d'une heure
quand le douanier entre nos premières données. Tout de suite nous sommes reconnus
par l'ordinateur mais... aussi vite arrive un message « entrada no regularizada ».
Devant
lui le squelette d'une femme allongée, jambes et bras écartés, devant laquelle
une autre femme se tient assise. De nombreux coquillages sont entassés sur le
sol. On y voit aussi des objets en or, en particulier un magnifique masque sur
le personnage royal. Un explication à cette étrange mise en scène serait la
préparation à une nouvelle naissance : la femme allongée est en position d'accouchement
alors que la sage-femme est assise devant elle. La position fœtale du mort est
la position de la naissance, et la poudre de cinabre rouge vif figurerait un
sang très oxygéné. Tout cela n'est bien sûr que supposition.
Nous
nous regardons, c'est pour nous un bond de plus 30 ans en arrière, un air de
déjà vu qui annonce les problèmes, nous le savons ; en 1978 nous sortions du
Népal et revenions en Inde ; un tampon oublié sur les passeports et nous voilà
dans la délicate situation de vouloir revenir dans un pays que nous n'avions
jamais quitté... Idem pour le Pérou ; notre bonne foi est évidente : comment
notre fourgon pourrait-il venir d'Équateur s'il n'avait jamais quitté le Pérou
?
A
Lambeyque, le musée des Tumbas Real de Sipan concerne les deux tombes des senores
de Sipan. La première date d'il y a 1750 ans et la deuxième, située 6mètres
sous la première, 150 ans de plus. Découvertes en 1987, le musée a été fait
en 2002. Il s'agit de la culture Moche comme El Brujo et la Huaca de la Luna
à Trujillo (voir article : Nord du Pérou, le 20 août 2010).
C'est lui qui m'avait dit (le gag !!) que tous avaient reçus des directives
de très haut d'assurer la sécurité des touristes et de leur faciliter le voyage.
C'est sûr, pour nous le faciliter, il avait réussi !!! Les oisifs de l'extérieur
me demandent ce qu'il se passe, s'il y a un problème. Tout le monde compatit
(ce qui les occupe un peu). Bref, au bout de deux heures la situation se débloque,
l'ordi montre une situation régularisée et on peut enregistrer notre entrée.
La nuit tombe, inutile d'aller plus loin ; nous dormons à la douane. Bonjour
le Pérou !

Nous
reprenons notre route le long de la côte Pacifique et arrivons à Mancora où
nous comptons nous arrêter. Le guide du routard y indique « de belles plages
récemment découvertes par les surfeurs, donc les hébergements et restaurants
commencent à se développer ». Ah ! Ils vont vite au Pérou ! Ou alors...le guide
a de bien vieilles informations. A Mancora se succèdent hôtels, restaurants
et boutiques de souvenirs ; les touristes au « look surfeur » déambulent dans
les rues. Nous prenons peur et quittons au plus vite la ville pour chercher
un endroit plus tranquille. Longeant la mer, nous voyons au large un spectacle
qui nous semble familier ; des éclaboussures qui révèlent … les sauts des baleines
!
Elles
sont, comme nous, en route vers l'Antarctique, bien que nous, nous nous arrêterons
avant. Le spectacle n'est pas habituel car certains locaux manifestent aussi
une grande excitation. En fait, les baleines ne font ici que passer, contrairement
à Puerto Lopez où elles séjournent de juin à septembre. Elles sont une bonne
dizaine et nous les regarderons évoluer à la jumelle pendant quelques heures.
Nous nous arrêtons à Los Organos, un sympathique port de pêche.
Nous
rejoindrons ensuite Chiclayo, une grande ville à côté de laquelle se trouve
Lambeyque, ville plus modeste, dont le superbe musée abrite, paraît-il, la plus
grande découverte archéologique d'Amérique latine de ces 50 dernières années.
A une dizaine de kilomètres est situé Ferrenales dont le musée abrite aussi
une très grande découverte. Les photos étant interdites à Lambeyque, et l'éclairage
obscur à Ferrenales, nous ne pourrons pas beaucoup illustrer le texte. Une fois
n'est pas coutume !
A
peine sortis du village, nous entrons dans le désert où s'activent les pompes
à pétrole et nous nous rendons à Negritos, un village oublié des touristes et
où l'activité pétrolière domine. Dans le village, réservoirs et raffineries
; dans l'océan, tours avec pompes à pétrole. Univers un peu triste pour des
touristes. Les élections imminentes mettent un peu de couleur au paysage ; de
l'humour aussi !
Alors que sommes-nous venus faire à Negritos
? Et bien c'est là que se trouve la Punta Parinas, le point le plus à l'ouest
de l'Amérique du sud.
Dans tout le Pérou, les élections
sont des occasions de meetings, de défilés de dizaines de moto-taxis
accompagnés de musique nasillarde, de hauts-parleurs crachant leurs
slogans.
Dans une ville passait même en boucle...la Marseillaise ! revue et corrigée
à la mode sud américaine. Il y a distribution de tee-shirts, occasion
à ne pas laisser passer pour des familles dont chaque membre a un tee-shirt
troué... Qu'importe si tout le village porte la même couleur.
Le musée décrit l'avancée des fouilles et expose en parallèle les photos des
tombes lors de la découverte des bijoux et objets, et les dits objets restaurés.
Il y a beaucoup d'objets en or, des bijoux incrustés de coquillages ou de turquoises.
Des pectoraux de perles de coquillages comptant des dizaines de rangs de perles
fines, parfois colorés dessinant des figures ; toutes les perles sont découvertes
en vrac et la restauration est fantastique. Certains bijoux sont d'exquises
miniatures d'une grande précision. Comme à El Brujo, le mort n'est pas seul
mais accompagné d'un enfant, de femmes, et de gens importants (chef des armées
et porte-étendards) et d'un chien, indispensable pour le voyage vers une nouvelle
vie.

A
quelques km de là, à Ferrenales, se trouve un autre musée tout aussi extraordinaire,
celui de Sican. Il se rapporte à 2 tombes découvertes dans une pyramide située
dans un « champ » d'une vingtaine de pyramides au total. Une seule pyramide
a été fouillée jusqu'à présent. Là aussi, les fouilles archéologiques sont détaillées.
Les tombes ont été découvertes en 1991, de part et d'autre de la partie médiane
de la pyramide et datent de 800 après JC environ. Dans l'une d'elle, le décédé
est placé en position fœtale, la tête vers le bas. Il est recouvert de poudre
de cinabre (pierre du mercure), rouge vif, signe que la personne décédée est
de haut rang.
Dans la seconde tombe, le décédé est au centre d'une cavité de 3m sur 3m, en
position assise, jambes croisées. Autour de lui, les squelettes de 23 femmes
en différentes positions, un squelette d'enfant. Beaucoup de poteries sur le
sol, des bijoux en or et là aussi un magnifique masque.
Ces musées sont splendides mais nous sommes quelque peu interpellés, car enfin,
de quel droit viole-t-on ces sépultures ? Là depuis près de 2000 ans, pourquoi
déranger ces morts dans leur repos ? An nom de la science, de la culture, de
l'histoire, certes. Pourtant, que dirait-on si on sortait nos rois de France
de leur tombes pour exposer leur squelette dans un musée, en leur ayant au passage
retirer tous leurs bijoux ? Charlemagne dort en paix et personne n'a eu l'idée
de déranger son sommeil. Le seigneur de Sican a vécu à la même époque que Charlemagne.
Est-ce parce que c'est le Pérou, un Eldorado pour les archéologues, que tout
est différent ?


D'ailleurs,
les grands connaisseurs de la culture Tintin, retrouveront ces pensées à la
première page de l'album : « Les 7 boules de cristal » ; Hergé devait un peu
penser comme nous... Un bémol cependant... Ces fouilles officielles ont aussi
le rôle de mettre fin aux activités des violeurs de tombes, très organisés au
Pérou (notons que l'on appelle violeurs ceux qui ne sont pas archéologues).
Ils
effectuaient des trous tous les 4 mètres, trous qu'ils élargissaient si une
découverte survenait. Ils ne tenaient pas compte des squelettes ni de ce que
ces tombes pouvaient apporter à la culture, leur seul but étant le profit, donc
la découverte d'objets en or. Depuis 1978 leur activité est officiellement interdite.
Mais elle continue dans l'ombre, et c'est le trafic d'objets en or, notamment
d'une superbe tête qui a révélé l'existence du trésor de Sipan.
Nous rejoignons d'abord le Pacifique
et faisons un crochet par Puerto Malabrigo, la "Capitale de la vague
gauche parfaite la plus longue du monde". Pour les non initiés
comme nous, c'est une vague comme une autre...(Sacrilège ! diront certains.)
Retour à Huanchaco ; c'est toujours
agréable de se retrouver dans une ville connue.
A
Chimbote, nous quittons la côte Pacifique pour retourner à Huaraz.
Nous passons par Sechin, un site étrange où tout le mur d'enceinte
est gravé de figures représentant soit le vainqueur, entier, soit
le vaincu, en petits morceaux ; têtes, bras ou jambes, pêle-mêle.
La conservation est extraordinaire car ce site date de 4000 ans.
Et
deux mois après notre premier passage, nous retrouvons la Cordillère Blanche.
Nous arrivons au lever du soleil à un col de 4200m qui fait face à la Cordillère
Blanche. Le spectacle est époustouflant ! Les sommets enneigés, dont plus de
50 dépassent les 6000m s'alignent devant nous quasiment à 180°. Ayant le soleil
en face de nous, nous les voyons d'abord se détacher en ombre chinoise, et peu
à peu les glaciers se révèlent à nous. La pause petit déjeuner va durer un bon
moment car nous ne sommes guère pressés d'abandonner ce panorama.
Les
montagnes des Andes ont cette particularité d'avoir de la neige et des glaciers
accrochés sur des pentes extrêmement raides. D'énormes paquets de glace en surplomb
défient les lois de la pesanteur. Du bas où nous sommes, 2000m sous le sommet,
nous imaginons le monde hostile et merveilleux à la fois que découvrent les
téméraires grimpeurs qui se lancent à l'assaut des cimes.
Un
rapide passage à Huaraz et nous repartons vers le Parc national de l'Huscaran
pour remonter la vallée de la Laguna Llaganuco. Nous dormons à l'entrée du parc
et démarrons dès 6h30 la montée vers le col à 4767m. Tout le long du chemin,
nous admirons les glaciers de tous les côtés. Le panorama change à chaque virage,
cachant et découvrant sans cesse de nouvelles vues. Il fait beau et les sommets
sont dégagés. En fait, ils ne le sont que jusqu'à environ 10 h car les nuages
montant de l'Amazonie les enveloppent rapidement. Nous côtoyons le Neve Huscaran,
point culminant du Pérou à 6768 m.
Il
pleut à Huaraz, presque toute la journée. Cela nous permet un peu de repos avant
de remonter vers Pitec, une vallée à 3800 m. Klaus monte vers la Laguna Chorop,
600m plus haut. Pour son anniversaire, je voulais lui offrir l'ascension du
Névé Huscaran (6 768 m) mais il a décliné ma proposition, sans doute pour ne
pas me laisser seule... Il est donc monté à 4400 m, et cela lui a suffi pour
ressentir le manque de souffle dû à l'altitude.
Malheureusement, la montée sans doute trop rapide du niveau de la mer à 4700m
me déclenche de nouveau de très violents maux de tête, et nous devrons redescendre
vers des altitudes plus douces (3800m). Nous aurons quand même profité des meilleurs
moments de la journée. Après avoir repassé une nuit au poste du parc, nous avons
le lendemain de magnifiques vues sur les sommets du Neve Huscaran et du Neve
Huandoy (6395 m).
Le
lendemain, nous remontons à pied la vallée pour découvrir d'autres glaciers.
Mais le temps couvert ne nous permet pas d'en voir grand-chose. Qu'importe !
La ballade était agréable ! Et le soir nous redescendons à Huaraz, prêts à aller
plein sud retrouver le Pacifique.
Les
gardiens sont ravis de notre compagnie et nous font la visite de leur maison.
Le plus âgé me parle du tremblement de terre de 1970, il y a 40 ans. Il devait
être alors bien jeune mais parlait avec tant de douleur de ce village de Yungay
qui après avoir subi, comme les autres villes, les 7 à 8 minutes de séisme,
voit d'énormes coulées de boue et d'alluvions recouvrir le village. Le seul
endroit épargné sera le cimetière, placé sur une colline, et seulement ceux
qui ont pu s'y réfugier auront la vie sauve. Ces coulées ont été provoquées
par la chute d'un énorme bloc de glace détaché, par le tremblement de terre,
du Névé Huscaran. Yungay est un village pas bien grand.



Sur
la colline, à côté du cimetière, s'élève une petite copie du Jésus de Sao Paulo
(il y en a beaucoup au Pérou !) et il devait rester encore des fonds car un
très, très grand stade est à présent en construction... Une grande étendue,
vide, au milieu de laquelle se trouve, debout, un porche d'église, s'appelle
« El Pueblo de la Muerte », le village de la mort ; c'est là que sont encore
ensevelis sous la terre les victimes de l'avalanche de boue.
Mais l'ordi ne peut pas enregistrer notre entrée, un vrai casse-tête pour le
douanier qui n'avait vraiment pas besoin de cela pour transpirer...Le grand
chef arrive, téléphone un peu partout et en particulier au bureau de douane
par lequel nous sommes sortis du pays ; Klaus me glisse à l'oreille : « Dis-lui
de demander si son dos va mieux ». En effet ce chef douanier souffrait à notre
passage d'un fort mal de dos .
Nous
ferons la connaissance de Christian, pilote d'hélicoptère, qui multiplie en
Amérique du Sud les contrats dans le pétrole depuis 2008, ce qui lui permet
en même temps de visiter les pays en moto. Nous passons avec lui un excellent
moment, puis il redescend vers Huaraz alors que nous passons la nuit à la maison
du parc.